Interview croisée de Tinne Van der Straeten, ministre fédérale de l’Energie, et de Jean-Marie Bréban, Directeur général de SOCOFE
Chez SOCOFE, nous estimons que les astres n’ont jamais été aussi bien alignés en matière de transition environnementale. Qu’en pensez-vous ?
Tinne Van der Straeten : Je suis tout à fait d’accord, et en même temps, il n’y a pas d’autre option ! Si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5 C° comme nous nous y sommes engagés dans l’accord de Paris, il ne nous reste plus beaucoup de temps. Outre le Green Deal européen, j’ajouterai que le ralentissement économique dû à la pandémie de Covid a eu comme effet positif l’élaboration de plans de relance ambitieux, tant au niveau européen que belge. Un tiers du Plan de relance fédéral belge est tout de même consacré à des projets dans l’énergie ! Après la seconde guerre mondiale, nous avons aussi connu une grande crise, et en investissant dans les infrastructures avec les moyens publics couplés à l’argent privé, comme nous allons le faire maintenant, nous avons réussi à reconstruire la société. Alors oui, les astres sont alignés. Maintenant, il faut que tout le monde agisse : les hommes et les femmes politiques, mais aussi les industriels et les citoyens à leur niveau.
L’énergie n’est-elle pas un des portefeuilles les plus passionnants ?
TVdS : Absolument ! Souvent, on voit l’énergie en termes de problèmes et de difficultés. Tandis que pour moi, c’est un domaine d’opportunités et de solutions. L’énergie est un catalyseur. On l’a vu dans notre histoire : toutes les grandes évolutions de la société sont passées par l’énergie. Le charbon, le pétrole, l’électrification… C’est passionnant de faire évoluer une société via l’énergie !
La hausse des prix de l’énergie, une motivation supplémentaire pour accélérer le mouvement ?
TVdS : Bien sûr ! Mais avec ce gouvernement fédéral, nous avons déjà pas mal avancé en ce sens. Par exemple en décidant de tripler la capacité éolienne existante en mer du Nord, alors qu’avant il était question de la doubler. Cela permettra de satisfaire la consommation électrique de tous les foyers belges ! La mer du Nord deviendra ainsi la plus grande centrale de production d’électricité. En ce qui concerne la volatilité des prix de l’énergie, dommage que nous n’ayons pas investi davantage ces vingt dernières années, car la seule technologie dont les coûts baissent aujourd’hui, c’est celle des énergies renouvelables comme le solaire et le vent. Mais rien ne sert de s’appesantir sur le passé. Il nous faut avancer et regarder vers le futur. La Belgique est peut-être un petit pays, mais nous avons toujours été bien placés sur la carte de l’énergie. Nous avons toujours eu l’esprit pionnier et avons été parmi les premiers en mer du Nord. Cela nous donne confiance dans le fait que nous avons tout pour réussir le switch énergétique vers une Belgique 100% renouvelable.
La transition, synonyme d’opportunités ?
Jean-Marie Bréban : Tout à fait ! Je retiens cette phrase d’Ursula von der Leyen qui disait que la transition environnementale et le Green Deal doivent être un plus pour la planète, mais aussi pour l’Homme et pour l’économie. Je suis vraiment convaincu que les investissements en lien avec cette transition vont être sources de développement économique pour la Belgique, et pour la Wallonie qui intéresse plus particulièrement SOCOFE. A condition bien entendu d’avoir les bonnes idées, de prendre les bonnes décisions, de permettre le développement des bonnes filières, d’avoir les bons soutiens politiques et d’opérer, le cas échéant, le changement de mentalité nécessaire. Mais nous avons de nombreux atouts pour y parvenir ! En Wallonie, nous avons des talents, tant au sein du monde académique et scientifique qu’industriel, mais aussi au sein des acteurs publics, locaux notamment, dont le dynamisme contribuera au succès des projets de la transition ! Et SOCOFE comme outil d’investissement…
TVdS : Je suis également convaincue à 100% que la transition est une bonne chose pour la société dans son ensemble. Et nous n’imaginons pas la transition sans nos entreprises et nos industriels belges. Nous aurons besoin d’eux pour fournir l’acier des éoliennes, par exemple. Je pense que SOCOFE peut jouer un rôle clé dans la construction de cet avenir. En tant qu’acteur à la fois financier et industriel, son atout majeur est de créer de la confiance. SOCOFE joue en Wallonie un rôle de courroie de transmission, et c’est important. Vous faites le lien entre le privé et le public, mais aussi entre l’énergie éolienne produite au Nord et son utilisation aussi en Wallonie, par exemple.
La collaboration entre partenaires privés et publics est-elle un modèle d’avenir ?
TVdS : Combiner investissement privé et public est exactement l’esprit du plan de relance. D’ailleurs, dans le cadre de l’appel à projets du fonds de transition énergétique, je suis très contente de constater que nous recevons de plus en plus de projets qui ne relèvent pas uniquement de la recherche fondamentale, mais aussi de la recherche industrielle.
J-MB : C’est tout à fait ce modèle qui a été adopté dans le projet de stockage par batteries à grande échelle ESTOR- LUX, à Bastogne. En l’absence de mécanismes de soutiens dédiés à ce genre de projet, nous avons mis en place un business model novateur, et aujourd’hui, ESTOR-LUX fait des petits. Et nous travaillons actuellement au développement d’autres projets dans plusieurs domaines avec des partenaires privés et/ou publics sur le territoire wallon.
Quelles pistes voyez-vous pour résoudre l’équation délicate de l’équilibre entre l’offre et la demande malgré l’intermittence de l’énergie renouvelable ?
TVdS : D’une part il y a la technologie, de l’autre les GRT, dont le job va radicalement changer. Dans un système énergétique 100% renouvelable et durable, l’intermittence est un réel défi pour le système énergétique. Il faudra donc des capacités de stockage et de flexibilité pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Pour le moment, nous sommes dans une phase de transition et c’est donc normal qu’il y ait de l’inquiétude. Mais je suis contente de constater que le CRM (mécanisme d’investissement) a attiré plusieurs projets de batteries, dont un à Stevin, où l’éolien offshore est connecté au réseau terrestre d’ELIA. Cela permettra de stabiliser la production éolienne en mer du Nord. Avec l’augmentation des capacités de flexibilité, on va peu à peu diminuer le recours au mécanisme du CRM. Je suis donc convaincue qu’ensemble, on va trouver la réponse à l’intermittence. Ce pays compte en tout cas des entreprises, mais aussi des entités fédérales et régionales, prêtes à relever le défi.
Comptez-vous sur les Belges dans le développement de la seconde zone offshore Princesse Elisabeth ?
TVdS : Je ne vois pas comment je ne peux pas compter sur eux ! C’est vrai que notre côte est petite, mais nous sommes quand même un des leaders dans la technologie éolienne, et le sixième pays en termes de capacités éoliennes offshore sur le plan mondial ! Je constate surtout qu’aujourd’hui, nos entreprises belges sont un peu partout : en Ecosse, aux Etats-Unis, à Oman… En tout cas, si nous n’avons pas de Belges dans la zone Princesse Elisabeth, je serai très déçue. Mais je n’ai pas de raison de douter.
J-MB : En ce qui concerne SOCOFE, nous avons clairement l’ambition de nous positionner avec les acteurs wallons déjà présents dans l’éolien offshore, mais aussi avec nos amis du Nord du pays, avec lesquels nous sommes déjà impliqués aujourd’hui et avec lesquels nous siégeons d’ailleurs en PUBLI-T et PUBLIGAZ, actionnaires de référence en ELIA et FLUXYS. Nous avons déjà prouvé nos compétences et notre professionnalisme dans la première zone offshore. Maintenant, indépendamment de la construction des parcs éoliens, l’important sera de développer les filières industrielles qui vont pouvoir profiter du développement de ce triplement de capacité d’éolien offshore, et si possible en Wallonie.
Grâce notamment à ELIA et FLUXYS, la Belgique occupe une place centrale dans le transport de l’énergie. Comment voyez-vous l’avenir de ces deux GRT ?
TVdS : Ils sont tout à fait essentiels pour la sécurité énergétique de notre pays, mais aussi pour la transition car sans infrastructures, on ne pourra rien faire. Si les GRT sont essentiels, les GRD le sont aussi. Les investissements d’ELIA et de FLUXYS s’inscrivent aujourd’hui dans la logique de la transition. C’est le cas avec la stratégie hydrogène de FLUXYS et celle du renouvelable pour ELIA. Mais selon moi, on doit aller un pas plus loin. Pour le moment, on a d’un côté l’électricité et de l’autre les molécules comme le gaz naturel aujourd’hui, et l’hydrogène vert et le CO2 demain. Chacun a son système. Or je suis convaincue qu’ELIA et FLUXYS seraient encore plus forts si on intégrait les deux systèmes. Je suis déjà contente de voir que des petits pas entre les deux GRT sont réalisés. Mais ces différents réseaux doivent être réfléchis ensemble.
J-MB : Dans cette vision, l’idée est que le mix énergétique réponde vraiment aux besoins des industries et des citoyens et ce, au bon endroit au bon moment. Cela signifie qu’à certains endroits, il y aura peut-être un déficit d’électrons qui sera compensé par des molécules, tandis qu’à d’autres ce sera l’inverse. En ce qui concerne la Wallonie, la capture CO2 sera peut-être un axe plus développé sur la dorsale wallonne étant donné le nombre d’industries présentes, et certains investissements planifiés par ELIA sont cruciaux. Je trouve cette vision essentielle et SOCOFE compte y travailler : la collaboration entre les deux GRT permettra de répondre à 100% aux besoins des citoyens et des entreprises.
Pour terminer, comment imaginez-vous le paysage énergétique dans dix ou quinze ans ?
J-MB : On vivra certainement dans un monde totalement différent. Tant les processus de production et que ceux de consommation vont changer, au niveau des entreprises mais également des citoyens. Demain, ce sera peut-être la batterie de notre voiture qui fera tourner la machine à laver pendant que nous dormons. Comme vous le savez, SOCOFE est en train d’écrire la deuxième partie de son histoire, avec une nouvelle équipe, une nouvelle vision et de nouvelles missions. Dans dix ans, nous aurons construit un véritable écosystème autour d’ELIA et de FLUXYS en Wallonie. Bien évidemment, nous serons aussi présents dans la Zone Princesse Elisabeth. Et puis, comme nous le faisons déjà avec ESTOR-LUX, nous travaillerons davantage avec les acteurs locaux privés et publics wallons pour créer et investir dans des projets porteurs pour la transition de notre région. Nous aurons aussi permis d’optimiser la collaboration, essentielle pour la transition, entre GRT et GRD. Là aussi, SOCOFE peut endosser le rôle de facilitateur. Sans cette collaboration, les adaptations de nos modes de consommation ne seront pas possibles.
TVdS : Dans dix ans, on sera autour de 2030, cela veut dire que notre zone Princesse Elisabeth sera opérationnelle et que les investissements dans l’hydrogène seront réalisés. On aura alors accompli de grandes étapes que nous sommes en train de démarrer aujourd’hui. Dans l’énergie, il faut toujours penser à long terme et agir à court terme. Alors moi je me projette plutôt en 2050. L’avenir va demander d’énormes investissements, et dans un contexte complexe. A un moment, cela va nécessiter des décisions d’investissements. Mais rappelez-vous quand vous avez commencé dans l’éolien offshore, il y a vingt ans, c’était une grande inconnue pour tout le monde : les banques, les avocats… Personne n’avait jamais travaillé dans un tel contexte. Pourtant on a réussi car il y avait une ambition, une vision. Alors je conclurai en citant Sénèque : « Il n’y a point de vent favorable pour celui qui ne sait dans quel port il veut arriver. » Pour moi, le plus important est de mettre l’objectif devant nous. Si nous savons où nous voulons aller, nous y arriverons !